FondsGoetheanum: Pandemie

Notre chance, c'est de nous engager

Payons-nous un prix pour notre alimentation qui assure la pérennité du producteur ?

La crise du corona nous lance de multiples défis. Il est essentiel de fortifier la confiance, de faire preuve de dynamisme et de saisir courageusement les chances qui se profilent. Délibérément et avec conviction. Cela en vaut la peine, comme le montrent certaines expériences.

 

« La décadence d’une société commence quand l’homme se demande : ‹ Que va-t-il arriver ? › au lieu de se demander : ‹ Que puis-je faire ? › » C’est ainsi que Denis de Rougemont, le philosophe neuchâtelois, décrivait une société au seuil de la paralysie. Les crises de plus en plus fréquentes et importantes dans les domaines de la santé, du climat et de l’économie, nous placent aujourd’hui devant la question existentielle : que pouvons-nous faire ?

Car c’est précisément maintenant que nous devons agir. Comment réussirons-nous à nous engager, saisir et solutionner des problèmes ? Avant tout, nous devrons commencer par renouer avec la confiance en nous-mêmes et en nos possibilités. Cette confiance a été ébranlée chez nombre d’entre nous par l’isolement et la distanciation sociale. Ensuite il nous faudra rétablir la confiance envers les autres, dans le voisinage, au travail, et aussi la confiance envers les commerces où nous nous approvisionnons et les établissements à qui nous confions nos économies. Sur ce chemin, notre attitude à l’argent est déterminante. Elle peut changer l’avenir de notre économie, de nos vies, de notre santé.

Quelle est notre attitude par rapport à l’argent ?

Sommes-nous personnellement intéressés à l’argent, il devient miroir et reflète d’abord nous-mêmes ; nous pouvons prendre goût à ce que nous voyons. Il peut alors nous donner l’illusion d’exister par lui et nous faire perdre pied, oublier le monde et les autres, nous-mêmes devenant le contenu de notre porte-monnaie, le montant de notre compte en banque. Dans le prix, nous voyons surtout ce qu’il va nous en coûter d’acheter et perdons le reste de vue. Nous nous retrouvons seuls, isolés dans l’illusion de pouvoir que confère l’argent.
Sommes-nous plutôt désintéressés face à l’argent, alors nous pouvons y lire les nombreuses valeurs qu’il véhicule, leur origine et leur destination. L’argent devient alors la lunette qui nous révèle la situation existentielle du monde et des autres, comme un œil nous ouvre au monde des couleurs, une sorte de système nerveux qui nous permet d’observer les besoins des autres et guider notre vouloir pour y répondre avec sens et en toute conscience. Qu’est-ce qu’un prix, sinon le montant qui va permettre à celui qui vend de couvrir ses besoins et ceux des siens jusqu’à ce qu’il puisse à nouveau vendre un même produit ? Ce prix sera vrai si et seulement si le producteur, et avec lui la nature, pourra vraiment vivre dignement jusqu’à la prochaine vente. Sinon ce prix sera complice en toute impunité d’une sorte de vol de la nature, des autres, comme c’est souvent le cas aujourd’hui.
Qu’est-ce qui fait la différence entre les deux ? Notre attitude à l’égard de l’argent ! Et nous tenons la clé du changement dans cette attitude. Si nous le voulons bien, l’économie peut se montrer comme la place où la confiance et la vie se mêlent et portent leurs fruits à la faveur de tous. Alors l’économie devient le terrain d’exercice de la confiance et la crise l’occasion de changer concrètement notre comportement économique qui aura du même coup une conséquence écologique. Ce n’est pas sans raison que les deux mots, économie et écologie, ont la même racine grecque ‹ oïkos ›, la maison, et abordent chacun à leur manière le fait de prendre soin de notre maison, de ce lieu où nous nous sentons chez nous.

Continuer à nous engager

Un tel changement a déjà commencé à se manifester un peu partout, comme lors de la marée montante, ces grandes vagues qui avancent sur le sable et recouvrent tout. Jamais le bio n’a autant eu le vent en poupe. On parle d’une augmentation persistante de 30 % dans tout le pays. Il en va de même des magasins de quartier, sans parler des ventes à la ferme. Ce sont des gestes concrets pour aller à la rencontre de l’autre pour se porter mutuellement en confiance. Cette vague peut durer et nouer de proche en proche un tissu économique porté en conscience. Les liens sont vrais. Ils ne se font pas à distance, par écran interposé. Et ce qui les caractérise, c’est qu’il faut librement les choisir et les vouloir. L’essentiel réside là, dans l’engagement de la volonté personnelle.
Alors il se produit un petit miracle : le magasin de quartier devient un peu – et même beaucoup – le nôtre. L’égoïsme qui nous anime d’habitude et nous isole a été élargi à l’autre. Il en naît un sens du bien commun, c’est-à-dire de ce qui nous appartient parce que nous en prenons soin. Nous nous sentons un peu à la maison quand nous y allons. Le potentiel d’une économie de la confiance partagée est immense. Et ce n’est pas un retour en arrière, c’est un bond en avant formidable qui peut être illustré par un exemple très suisse : la REGA, cette entreprise privée de sauvetage aérien qui reste pionnière tout en étant devenue une véritable institution. Elle est portée par plus 3,5 mio. de donatrices et donateurs, soit plus de 40 % de la population. Et dans notre sentiment vit concrètement le fait que cette institution, c’est un peu la nôtre.
En contre-exemple, nous avons ce qu’est devenu le régime obligatoire de l’assurance-maladie, duquel nous sommes prisonniers, où la concurrence fait rage et les primes croissantes ne cessent de ponctionner les revenus de manière indécente.
Cette différence, c’est celle d’une économie de la confiance et d’appartenance face à une économie du chacun pour soi et de l’exclusion. Dans la première, ce sont les acteurs qui assurent l’avenir par leur engagement mutuel et la solidarité qui en découle. Dans la seconde, le désengagement déchire le tissu social et c’est l’argent mis en réserve qui donne l’illusion d’une garantie. Mais à quel prix pour tout un chacun et pour la société dans son ensemble ?

Faire la différence

Cette différence, nous pouvons la faire et construire librement la société de demain. Chacun de nous est concerné. Il suffit de s’engager pour ce qui a déjà commencé. Beaucoup ont déjà prouvé par l’acte qu’une économie de la confiance est possible. N’attendons pas ce qu’il pourrait bien arriver, mais maintenons la garde et continuons à veiller que les anciennes habitudes ne nous rattrapent pas, et demandons-nous ce que nous pouvons faire. Apprenons à porter un regard sur l’argent qui permette de voir l’autre, que ce soit en achetant, prêtant ou donnant.
La confiance est un risque à courir pour un avenir économique qui devienne le nôtre.

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Marc Desaules, Physicien et entrepreneur, co-directeur de L’Aubier Montezillon