FondsGoetheanum: avenir de l'agricolture

 

 

« L'agriculture durable tire son modèle de la nature »

 

 

« En Europe, Presque 10 % de la surface agricole sont en culture biologique – tendance en hausse. »

 

 

« Dans l'organisme de la ferme, les ruminants occupent une place centrale. »

 

Retour en arrière pour l'avenir – l'agriculture circulaire

Dans l’agriculture circulaire, les vaches ont une importance centrale: avec leurs quatre estomacs, elles transforment pour nous herbe et foin indigestes en lait et viande, et leur fumier est l’engrais agricole le plus précieux. © Demeter

La ferme idéale est le point de départ de cet article d’Alfred Schädeli. Qu’a-t-elle à voir avec l’agriculture biologique et biodynamique? Découvrez ici les plus de l’économie agricole circulaire. Elle est depuis toujours la base de l’agriculture biodynamique.

Texte: Alfred Schädeli, agriculteur, président de l’Association pour l’agriculture biodynamique.

Quand mes petits-enfants jouent à la ferme, ils prennent d’abord une vache, puis une deuxième et une troisième. Ensuite le taureau, un porc, un coq et quelques poules, une chèvre, un mouton, le paysan avec une fourche, et peut-être un cheval. Pas question d’oublier le tracteur, avec sa remorque benne ni la tonne à lisier. Il faut encore ajouter une moissonneuse-batteuse. On rencontre de moins en moins dans la réalité cet ensemble idyllique. Mais il vit toujours dans l’imagination des enfants et celle des adultes comme nous.

La ferme idéale

Dans la ferme idéale telle que nous la voyons, vaches, chèvres et moutons broutent dans les pâturages, on fauche des prairies, on fait du foin, que l’on rentre pour l’hiver dans le fenil de la grange. Les paysans ont un lien étroit avec leur bétail, qu’ils nourrissent chaque jour et dont ils portent, comme précieux engrais, le fumier aux champs. Là ils cultivent des céréales, des pommes de terre et des légumes. Ils épandent la paille du blé dans l’étable, pour offrir aux animaux en hiver une litière chaude et sèche. Ils donnent aux poules les grains de blé trop petits, les porcs reçoivent les restes de la cuisine, les résidus de récolte du champ de légumes et le petit-lait de la fromagerie.

Certes, il ne saurait être question de conserver tout ce qui est idyllique. Notre monde change, et il convient souvent d’abandonner des modèles vieillots et de trouver de nouvelles solutions pour l’avenir. Toutefois, certains de ces modèles vieillots ont prouvé leur excellence.

L’économie circulaire tient la route

Parmi ces merveilleux modèles: l’économie circulaire. Il faut en conserver l’idée fondamentale et la transformer en un concept viable pour l’avenir. Car l’association avisée des cultures et de l’élevage donne une base solide pour une production alimentaire douce à la hauteur des défis de notre époque. Dans notre pays, elle est en recul, comme dans le monde entier. Mais il y a également un espoir, un contre-mouvement qui reconnaît la valeur d’exploitations diversifiées.

Plantes et animaux créent du sol

Une agriculture durable tire son modèle de la nature qui est son fondement. Dans la nature, sol, plantes et animaux sont en interaction étroite. Partout où s’offre une occasion sur la terre, du sol se forme, en même temps que des plantes poussent et que des animaux s’installent. C’est vrai à toutes les échelles. Si dans une fente de rocher en montagne ou entre les pavés d’un parking s’accumule la moindre quantité de sable et de poussière, mousses, algues, plantes, vers et insectes apparaissent aussitôt. Un sol fertile naît. Toute la végétation a pu s’établir sur notre planète selon ce même principe. Plantes, animaux et micro-organismes ont construit le sol sur lequel peuvent grandir et se multiplier végétaux et animaux.

Du chasseur au bâtisseur de grandes civilisations

Comme on sait que la nature est généreuse, elle a offert à nos ancêtres nourriture et vêtements. Ils recueillaient des fruits, feuilles et racines et chassaient les animaux ou transhumaient comme bergers avec leurs troupeaux dans les steppes. Plus tard ils se sédentarisèrent, cultivèrent des champs et élevèrent des animaux dans les pâtures. Ainsi naquit une forme originelle d’élevage dont Mère Nature était le modèle.

Dans la nature sauvage se développent des communautés de plantes et d’animaux sauvages adaptés au lieu. La première agriculture les complétait par des cultures végétales et l’élevage d’animaux de rapport. Elle créa ainsi de nouvelles conditions qui offraient à l’homme plus de nourriture et lui permit un développement culturel. Ce qui commença il y a des millénaires par une intégration parfaite dans la nature fut un modèle de succès, bien que l’exploitation intensive des terres et le surpâturage aient déjà conduit alors à la destruction de sols et à la disparition de grandes civilisations. Ce sont des systèmes agricoles combinant agriculture et élevage qui ont permis dans de grandes parties du monde notre mode de vie actuel. Mais cette évolution s’est de plus en plus déséquilibrée au cours des 150 dernières années.

Conséquences de l’agriculture industrialisée

L’agriculture, en s’industrialisant, a mis de plus en plus la nature à l’écart. La proportion de plantes cultivées a nettement dépassé celle des plantes sauvages, l’élevage de bêtes de rapport a repoussé les populations d’animaux sauvages. Comparé à la biomasse des mammifères, il y a aujourd’hui 15 fois plus
d’animaux de rapport que d’animaux sauvages1 en Suisse vivent 15 fois plus de volailles d’élevage que d’oiseaux sauvages, et la tendance s’accentue2.

Ces faits ont des conséquences négatives pour la fertilité du sol, les nappes phréatiques, le climat et la biodiversité. le grand nombre d’animaux de rapport ne peut être nourri que par une agriculture intensive et des importations de fourrage. Plus de la moitié des céréales cultivées en Suisse n’est pas destinée à l’alimentation humaine mais arrive dans les mangeoires. Et cela ne suffit absolument pas. Nous importons dans notre pays, par année et par tête, 200 kg de céréales fourragères et de soja, pour produire oeufs, viande et lait.

Inconvénients des exploitations spécialisées

Comme dans de nombreuses parties du monde, l’agriculture s’est éloignée en Suisse aussi depuis longtemps de l’idée de la ferme idéale. En outre, la spécialisation de la production est en forte augmentation, surtout dans les vallées. Il reste encore 14 % d’exploitations considérées comme mixtes, pratiquant agriculture et élevage3.

La conjugaison de la spécialisation et des importations de fourrage a des conséquences funestes. Car ce fourrage importé introduit aussi dans le système des éléments nutritifs, surtout azote et phosphore. Les fermes qui nourrissent leurs animaux avec ce fourrage apportent, en plus du fumier et du lisier, trop d’engrais dans les champs.

Les engrais chimiques – un cercle vicieux

L’industrialisation et la spécialisation de l’agriculture depuis le début du XXe siècle sont allées de pair avec la production chimique d’engrais azotés, qui continue d’ augmenter dans le monde. Ce procédé fort consommateur d’énergie est couplé à l’exploitations de gaz naturel. La fabrication chimique d’engrais azotés contribue – avec leur emploi –à hauteur de 5 % des émissions de GES dans le monde4. En outre son usage dans la culture abaisse la résilience des plantes cultivées, corrigée par des produits phytosanitaires chimiques de synthèse. Ce qui réduit à son tour la biodiversité, pollue les nappes phréatiques et réduit la teneur du sol en humus. Ce cercle vicieux classique libère du CO2. L’agriculture intensive s’éloigne de plus en plus de la gestion durable. Comment puis-je expliquer cela à mes petits-enfants?

Dans de nombreuses fermes, on voyait autrefois des petites troupes de poules autour d’un coq bien fier – il les protège et les avertit en cas de danger.

Par bonheur il existe une résistance

Une lueur d’espoir: le concept d’une agriculture intensive, spécialisée, dépendante de l’apport d’auxiliaires chimiques rencontra dès le début des opposants. D’une part, de nombreux paysans – dont par exemple mes grands-parents – ne faisaient pas confiance aux promesses de « la modernité » et tenaient à la gestion traditionnelle polyvalente de leurs fermes. Il y eut ensuite au début du XXe siècle différents courants qui cherchèrent des voies nouvelles plus respectueuses de la nature pour la production d’aliments et expérimentèrent les premières formes de la culture biologique, par exemple le mouvement de la Lebensreform, connu par ses Reformhäuser.

Rudolf Steiner posa un jalon en 1924 avec le « Cours aux agriculteurs ». C’est ainsi que l’on nomme aujourd’hui encore une série de huit conférences sur « les bases données par la science de l’esprit pour la prospérité de l’agriculture ». Elles furent le point de départ de l’agriculture biodynamique. Le fondateur de l’anthroposophie donna ces conférences devant 130 personnes sur un domaine de Silésie où l’industrialisation de l’agriculture était particulièrement avancée. Les participants étaient en grande partie des agriculteurs ou des propriétaires de domaines, qui avaient remarqué les premiers effets négatifs de l’agriculture « progressiste » sur les sols, les semences et la qualité de la production.

Un organisme fermier global

Dans son « Cours aux agriculteurs », Steiner décrit la ferme comme un organisme autonome, inséré dans la nature et le paysage, s’appuyant sur les possibilités qu’offre le sol et renonçant à l’apport d’engrais chimiques et de fourrage. La ferme est conçue comme un ensemble de relations multiples entre culture et élevage qui se soutiennent mutuellement sous la direction des fermiers. Pour vivifier l’activité du sol et fortifier une saine croissance végétale, il décrit un type supplémentaire de fertilisation, les préparations biodynamiques.

Les ruminants y occupent une place centrale, surtout les vaches, mais aussi les chèvres et les moutons que font vivre pâtures et prairies – mais en nombre raisonnable, car la taille des troupeaux est limitée par la base fourragère de la ferme. Le système digestif des ruminants avec quatre estomacs a la faculté de transformer l’herbe (et le foin) que l’homme ne peut digérer en lait et en viande et en outre de générer un fumier de grande valeur pour la fertilité du sol. Le compost de fumier parvient comme engrais vitalisant dans les champs où sont cultivés céréales, légumineuses, oléagineux et légumes pour l’alimentation humaine. Arbres et arbustes donnent des fruits, des noix, des baies, offrant une protection contre le vent et contribuant au soin du paysage et à la biodiversité.

Rayonnement international

L’agriculture biodynamique, un siècle après sa fondation, a pris son essor et est représentée aujourd’hui dans plus de 60 pays sur tous les continents habités. Partout, jusqu’à ce jour, dans les exploitations de toute taille, la combinaison culture-élevage fait partie des principes fondamentaux de cette méthode, dont les produits sont commercialisés sous la marque Demeter.

L’agriculture biodynamique a inspiré en outre l’agriculture biologique, qui s’est aussi répandue sur tout le globe avec un impact notable. En Europe, presque 10 % de la surface agricole sont en culture biologique, en Suisse ce sont 18 %. Sur cette surface, n’entrent ni produits phytosanitaires chimiques de synthèse ni engrais chimiques. L’interaction entre cultures végétales, élevage et préservation de la fertilité naturelle du sol est largement répandue dans les fermes biologiques.

À l’avenir, les agricultures biologique et biodynamique continueront à se développer et à se répandre. Cela donne de l’espoir, car cette tendance influence l’agriculture conventionnelle qui se rapproche en Suisse partiellement des méthodes durables. Preuve en est la présence dans nos paysages de beaucoup plus d’animaux dans les pâturages qu’il y a encore quelques décennies. C’est ce que je vais raconter à mes petits-enfants, et ils s’en réjouiront.

 

Sources

1 Yinon M. Bar-On et al. 2017: The biomass distribution on Earth, PNAS.
https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1711842115

2 Knaus und Strebel 2022: Bestand und Biomasse von Brutvögeln und Nutzgeflügel in der Schweiz. Ornithologischer Beobachter 119, 74–80.

3 Bundesamt für Statistik: Landwirtschaftliche Strukturerhebung 2023
https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/land-forstwirtschaft/ landwirtschaft/strukturen.assetdetail.31927954.html

4 Yunhu Gao, André Cabrera Serrenho 2023: Greenhouse gas emissions from nitrogen fertilizers could be reduced by up to one-fifth of current levels by 2050 with combined interventions, Nature Food, Vol. 4, Feb. 2023, 170-178
https://tinyurl.com/39u5cyea

 

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